
Pourquoi j’ai offert le Web au monde
(et pourquoi j’aurais peut-être dû garder le ticket de caisse...)
En 1993, un type de 34 ans au CERN s’est dit :
« Tiens, si je mélangeais l’Internet et l’hypertexte, on pourrait naviguer de page en page sans devoir recopier des adresses de 200 caractères. »
Résultat : le World Wide Web. Pas une appli freemium avec pubs intégrées, pas un brevet monnayé à vie… Non. Un cadeau. Offert. Gratuit. Comme ça.
À l’époque, l’idée semblait folle : on pouvait publier ce qu’on voulait, et le reste de l’humanité pouvait le consulter. Gratuitement. Sans abonnement premium, sans cookies intrusifs, sans algorithme pour décider si vous aviez le droit de voir les photos de votre tante Monique. Bref, une utopie.
Mais voilà, entre l’utopie de 1993 et le cauchemar social-média de 2025, il y a eu quelques… disons, détournements de trajectoire.
Nous ne sommes plus les clients, mais le produit
Vous pensiez surfer ? En fait, c’est vous qui êtes surfé : vos données personnelles sont revendues plus vite qu’une contrefaçon de sac Louis Vuitton sur un marché de Bangkok.
Votre pouls enregistré par votre montre ? Vendu. Vos achats par carte ? Vendu. Vos likes sur YouTube ? Vendu. Et parfois, on ne prend même pas la peine de les anonymiser correctement. Résultat : on vous cible, on vous enferme dans des bulles et parfois on vous pousse carrément à la haine ou au complotisme (voir au suicide). Tout ça parce qu’un algorithme a décrété que c’était « bon pour l’engagement ».
Le web gratuit, vraiment ?
Tim Berners-Lee voulait un web accessible à tous. Mais aujourd’hui, si vous n’avez pas adblock, un VPN, trois extensions anti-traçage et un diplôme d’ingénieur en cybersécurité, « gratuit » signifie surtout payé avec votre vie privée.
Un moteur de recherche qui ne vous piste pas ? Exotique. Une boîte mail sans pub ? Expérimentale.
Pendant ce temps, Meta, Google et consorts roulent en Tesla S Plaid, pendant que nous roulons dans des fils d’actualité trafiqués.
Et maintenant, l’IA
Comme si ça ne suffisait pas, voilà que l’intelligence artificielle débarque.
Question existentielle : va-t-on refaire les mêmes erreurs ?
Les géants qui possèdent déjà nos données sont évidemment en pole position. Imaginez : après avoir vendu votre historique de navigation, ils vont bientôt louer vos neurones.
Tim rêve d’un « Charlie », une IA personnelle qui bosserait pour vous, comme un médecin ou un avocat.
Mais soyons réalistes : à l’heure actuelle, l’IA ressemble plutôt à un vendeur de matelas par téléphone. Sauf qu’il connaît vos insomnies, vos rêves, et probablement ce que vous allez manger demain soir.
Un nouveau CERN pour l’IA ?
Berners-Lee rappelle que le web a vu le jour dans un centre de recherche public, créé après la guerre pour servir la science et l’humanité.
Question : vous imaginez Google, Amazon ou Microsoft dire « tiens, on va filer notre IA open-source, c’est cadeau » ?
Non ? Moi non plus !
Il faudrait un CERN de l’IA, un organisme non lucratif international, histoire d’éviter que Skynet ne débarque sous forme d’abonnement mensuel.
Il n’est pas trop tard (enfin, peut-être)
Le web a été conçu comme un espace de collaboration et de créativité. Aujourd’hui, il ressemble davantage à un centre commercial géant où vous êtes à la fois le client et l’étalage.
Mais il n’est pas trop tard pour reprendre la main (à ce qu'il paraît). Avec un peu de courage politique, des standards ouverts et surtout une bonne dose de volonté citoyenne, on pourrait encore redonner au web son visage originel : celui d’un outil libre, partagé et un peu moins obsédé par la monétisation de vos moindres clics.
En attendant, si Tim repasse par ici, on lui rappellera gentiment : la prochaine fois que tu inventes un truc pareil, mets au moins une licence Creative Commons qui interdit les GAFAM d’en faire une foire commerciale.
Trois leçons à retenir
- Quand on vous dit que c’est « gratuit », c’est généralement vous le produit.
- L’IA « Charlie » rêvée par Tim ressemblera sans doute plus à « Charles-Édouard », consultant à 500 €/h, sponsorisé par Microsoft.
Sources :
The Guardian
Numerama
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